Le Gouf de Capbreton
Une vallée sous-marine étrange et méconnue
par Hugo Verlomme
Attention ! Vous ne le savez peut-être pas, mais à l’approche de Capbreton, vous naviguez au-dessus d’une vaste vallée sous-marine peuplée de créatures étranges… Pendant longtemps, le Gouf a été considéré comme une simple « faille », ou une « fosse ». On savait que les fonds descendaient brusquement au droit de l’estacade (on répète souvent que, lors des tempêtes, les marins des siècles passés se positionnaient au-dessus de la fosse, où les vagues perdaient de leur puissance à cause de la profondeur), sans soupçonner qu’il s’agissait d’un fantastique canyon sous-marin !
Pendant des siècles, l’Adour, fleuve capricieux, s’est jeté à Capbreton, en profitant de cet exutoire si proche du bord. (Mais ce n’est pas le fleuve qui a creusé le canyon, comme certains le croyaient !). Les canyons proches du littoral étaient autrefois reliés à un fleuve, comme l’Adour, qui s’est jeté là pendant longtemps, jusqu’en 1578, lorsque les hommes ont choisi d’en détourner le cours au profit de la ville de Bayonne, grâce au barrage construit par Louis de Foix à Boucau.
Le Gouf est un formidable joyau géologique, une rareté, puisque seuls moins de 3 % des canyons sous-marins du monde sont reliés au littoral, comme celui de Capbreton. En effet, celui-ci commence à environ 300 m du rivage et sa tête mesure 1 200 m de large, entre l’estacade de Capbreton et la plage Nord d’Hossegor (c’est d’ailleurs un relief de cette tête qui provoque la vague ayant rendu Hossegor célèbre pour les surfeurs : « La Nord »).
Le cours du canyon est à la fois longitudinal et méandriforme. Le Gouf descend en pente douce, en partant d’une profondeur de 30 à 40 m à sa tête proche du rivage, sur une longueur totale de 300 km, pour atteindre la profondeur de 4 500 m à sa fin, au large de Santander en Espagne, dans la plaine abyssale du golfe de Gascogne. Les origines des canyons sous-marins remontent à la nuit des temps, leur présence est liée aux grands mouvements géologiques du passé (séparation des plaques ibérique et armoricaine, faille pyrénéenne…) et aux grandes variations des niveaux marins (il y a seulement 20 000 ans, le niveau de la mer était 120 m plus bas !). Le Gouf a été redécouvert au 19e siècle, notamment par le marquis Léopold de Folin, explorateur et scientifique qui entreprit plusieurs missions océanographiques sur le Gouf (il fut l’inspirateur du Musée de la mer à Biarritz). Au 20e siècle, les campagnes d’IFREMER ont permis de cartographier sa bathymétrie de façon précise.
L’une des caractéristiques du canyon est sa forte dynamique, le fait qu’il soit parcouru de puissants courants et de bien d’autres phénomènes que nous commençons seulement à découvrir. Ainsi, ce canyon est vivant, il se métamorphose au fil du temps, et il n’a pas fini de nous surprendre. Comme la plupart des canyons sous-marins, le Gouf est une véritable oasis (un « hot spot ») de biodiversité ; avec ses méandres, ses recoins, ses cavités, ses aiguilles, ses rochers aux formes diverses, il compose un abri idéal pour une vie encore méconnue. De nombreuses espèces rares ont été trouvées dans le canyon, avec l’aide des marins-pêcheurs et la collaboration d’IFREMER. C’est évidemment sa proximité qui fait du port de Capbreton le seul port des Landes, avec sa richesse en poissons non seulement pélagiques, mais encore des poissons bleus, poissons de roche, crustacés, céphalopodes et la présence de nombreuses espèces de dauphins et de baleines.
par Hugo Verlomme
Depuis 2015 et la création des Journées du Gouf (sur mon impulsion et avec l’appui de la ville), Capbreton devient peu à peu la Cité du Gouf, et ses habitants redécouvrent ce formidable phénomène sans lequel les villes de du Gouf a montré l’engouement du public pour ce patrimoine qui a modelé notre paysage et nos sociétés (navigation, pêche, surf, station balnéaire).
Les scientifiques d’IFREMER nous ont apporté leur soutien et leurs lumières, et ainsi de véritables échanges participatifs se sont mis en place avec le public, les chercheurs, les marins, les pêcheurs, les surfeurs et les plongeurs. Ce canyon est d’autant plus accessible qu’il est l’un des rares au monde à commencer si près du bord. C’est pourquoi la « tête » du Gouf nous intéresse tout particulièrement, puisqu’il suffit de sortir du port pour la rencontrer. Elle est d’ailleurs régulièrement cartographiée par un chercheur de l’Unité Mixte de Recherche EPOC Bordeaux, qui constate chaque année des modifications remarquables dans sa géomorphologie.
C’est l’une des caractéristiques les plus surprenantes du canyon, d’être animé de courants, de mouvements d’eaux ou de sédiments, d’avalanches, qui le remodèlent sans cesse. En 2018, un navire de recherche est venu sur la tête du Gouf non loin du bord, pour effectuer des relevés bathymétriques destinés à la pose d’un câble électrique. Quelle ne fut pas la surprise des scientifiques, revenus quelques mois plus tard sur zone, de constater qu’un glissement de terrain haut de seize mètres s’était produit en si peu de temps ! Ainsi sous les coques de nos bateaux, il s’en passe de belles ! On parle même de bulles plus ou moins grosses qui remonteraient parfois de la tête du Gouf vers la surface… On le voit, le canyon est un réservoir de mystères et il est réjouissant de constater que le canyon passionne grands et petits, artistes et scientifiques, avec une même ferveur. D’où une volonté de mieux le préserver et le protéger.
La création, par les plongeurs Aquanautes, d’un récif artificiel innovant à faible profondeur est également un atout supplémentaire pour mieux faire connaître la « source » de ce canyon remarquable : six modules différents seront immergés à partir de 2020 par moins de vingt mètres de fond, à environ deux milles au large des blockhaus de Capbreton. Ouverts à tous, ces récifs (Les Jardins du Gouf) ont pour vocation de mieux connaître les cycles et les saisons de la biodiversité locale, dans un but pédagogique, scientifique, écologique, et également ludique. Le tout en collaboration avec des scientifiques, mais aussi avec le retour participatif des marins, plaisanciers, plongeurs ou pêcheurs qui se rendront sur le site.
En 2017, la ville de Nazaré au Portugal était l’invitée de la 2e Journée du Gouf, car elle possède un canyon sous-marin semblable au nôtre, qui provoque là-bas des vagues géantes célèbres pour le surf, mais aussi un petit port de pêche qui n’est pas sans ressemblances avec Capbreton, des plages de sable, le surf et d’autres activités similaires, qui ont mené au jumelage des deux villes.
Cela donne lieu à de nombreux échanges, culturels, scientifiques, sportifs, scolaires, et aussi des expéditions de plongée sur les deux canyons.
Ainsi, l’histoire du Gouf et de la cité de Capbreton ne fait que commencer et de nombreux projets voient le jour, qui vont nous faire progresser dans la connaissance de cette merveille géologique qui fait partie de notre patrimoine le plus précieux.